dimanche 27 avril 2014

Leb wohl Günter (adieu Günter)




Ne s'entendent que des chiens qui aboient dans la nuit,

Dans cette quiétude ambiante Berlin semble endormi,

Les rails du tram' désertés, lumière floutée,

Le vacarme provient d'une cave désaffectée,

La jeunesse danse sous le bitume engourdi,

Ils sont l'âme de Berlin, l'incarnation de la vie,

Ils s'affranchissent de leur société corsetée,

Leurs fous rires délient un ruban de fumée,

Dans un coin, cigarette à la main il lit un poème,

Il n'a besoin de rien, entouré de ceux qu'il aime,

Certains parlent de Brecht, d'autres de Tucholsky pendant,

Qu'il contemple cette joie de parfum de parfum enivrant,

Marcus veut devenir peintre et vénère les poètes,

Pour lui les années trente sont des années de fête,

Il croit en l'humain, l'avenir, et au présent,

Que le bonheur peut durer éternellement,

Il a confiance en sa génération, sa culture,

Il n'imagine pas que la vie peut-être dure,

C'était l'époque des filles aux cheveux crantés,

Des femmes androgynes aux sourcils retracés,

Des hommes en chaussures en daim et frisons plaqués,

Dansent ces jeunes aux colliers de perles et joues poudrées,

Il avance lentement dans la salle bondée,

Sort dans la rue aux réverbères électrifiés,

Il lève les yeux et contemple les étoiles,

La voûte céleste est couverte d'un long voile,

Mais soudain il entend un bruit et sursaute,

Sur la fenêtre se trouve une silhouette qui saute,

C'est un ado qui porte une casquette de feutre,

Veste tâchée et un paquet contre son ventre,

Voyant Marcus il semble se paralyser,

Pendant que l'autre éteint sa cigarette allumée,

Il voudrait crier au voleur mais se retient,

Ce n'est qu'un enfant qui plante ses yeux dans les siens,

Chacun n'ose bouger et reste sur place,

Mais alors que chacun semble être devenu glace,

Le gamin fait un pas en arrière et attends,

Marcus l'interpelle et marche un peu en avant,

« Ce n'est pas ma faute je le jure », dit l'enfant,

« Mes frères meurent de faim dans le quartier adjacent,

Mon père se brise le dos pour une poignée de marks,

On n'existe pas, personne ne nous remarque »,

Marcus lentement lui demande son prénom,

« Günter M'sieur » répond-t-il les mains tâchées de charbon,

Il vient de l'autre côté des quais berlinois,

Là où on redoute le soir de rentrer chez soi,

Où les prostituées font le trottoir tous les soirs,

Où l'on trouve des accents de l'Oural sans les voir,

Marcus a entendu parler de cet endroit,

Qui pour les siens n'est qu'un lieu sans foi ni loi,

Alors, Leb wohl Günter, adieu et à bientôt,

Il le laisse fuir, peu importe, il tourne le dos,

La noirceur les replonge dans l'obscurité,

Celle dont les étoiles ont étés effacées,

C'était l'époque des filles aux cheveux crantés,

Des femmes androgynes aux sourcils retracés,

Dansent ces jeunes aux colliers de perles et joues poudrées,

Bientôt il leur faudra sortir les gants crêpés

Le monde leur appartenait à l'aube des regrets,

La rouille a couvert les écrous des cabarets


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire